Pour les professeures Habiba Bougherara et Lesley Campbell de l’Université métropolitaine de Toronto (UMT), l’innovation commence souvent par une question épineuse : pourquoi pas?
Pourquoi ne pas choisir une baie souvent considérée étant comme trop fragile, trop haute ou trop difficile à cultiver en intérieur? Pourquoi ne pas repenser la pollinisation sans avoir recours aux abeilles? Pourquoi ne pas mettre en place un système qui permettrait aux agriculteurs du Canada et d’ailleurs de produire des aliments de manière durable? Ce sont les objectifs que l’équipe de l’UMT s’est donnés.
Fortes de leurs formations respectives en ingénierie et en botanique, Habiba Bougherara et Lesley Campbell élaborent un système souple et évolutif pour cultiver des framboises en intérieur. Voilà qui favoriserait l’autonomie du Canada au chapitre de la production de baies tout en répondant aux pressions croissantes en matière d’utilisation des terres, de pollinisation et de sécurité alimentaire.

À partir du cultivar de framboises « Joan J », l’équipe s’est donné pour objectif de réduire la hauteur typique de la plante, qui est de huit pieds (2,4 m), à environ quatre pieds (1,2 m), ce qui donnerait une culture plus compacte qui pousserait plus rapidement. En réduisant le cycle de croissance, on ouvre la porte, pour une toute première fois, à une production de framboises en intérieur efficace et économiquement viable. Les projets pilotes menés pendant la phase du berger ont déjà donné des résultats remarquables, dont une augmentation de rendement de 350 % par rapport aux exploitations en plein air. L’équipe élabore une installation pilote du nom de MoFarm. Unique au Québec, cette ferme verticale fera la démonstration d’un système de production complet en circuit fermé où la pollinisation se fait sans abeilles.
Au cœur de cette approche se trouve le système de pollinisation sans abeilles breveté par la professeure Bougherara. L’équipe a mis au point cette technologie de circulation d’air autonome une première fois pendant la phase du berger du Défi. Le système imite la pollinisation naturelle tout en maintenant un microclimat constant pour les baies, ce qui assure un rendement stable et non dépendant d’une vraie ruche. Ce système de circulation d’air unique présente un autre avantage : il recycle l’air chaud et le CO2, ce qui réduit la consommation des ressources et les coûts des intrants pour les producteurs.
Cette innovation arrive à point nommé, puisque les populations mondiales d’abeilles sont lourdement malmenées par les pesticides, les parasites et les changements climatiques et que les agriculteurs peinent à trouver suffisamment de ruches saines pour leurs besoins de pollinisation. C’est sans compter le fait que les serres présentent souvent des taux de mortalité élevés pour les abeilles.
« Notre technologie se veut une solution de rechange sécuritaire dont les résultats sont uniformes, explique la professeure Bougherara. Elle donne des fruits de haute qualité sans dépendre d’un service écosystémique fragile et de plus en plus difficile à maintenir. »
Dans le cadre de la phase de mise à l’échelle, le projet de l’équipe de l’UMT a pour but de transformer ses percées en solutions concrètes – un travail qui repose en grande partie sur la collaboration. S’appuyant sur son réseau de partenaires en pleine expansion dont Dunya Habitats, Montel et Demers, l’équipe élabore des prototypes, puis essaie sa technologie dans des serres et des conteneurs pour la production agricole.

« Nous passons de l’aspect scientifique à l’application industrielle, explique la professeure Campbell. Au terme d’une validation de principe, c’est le temps de trouver des moyens de rendre cette technologie utilisable, évolutive et commercialement viable. Pour ce faire, les partenariats sont indispensables. »
Les deux chercheuses voient ce travail comme un processus personnel et collaboratif. « Il nous a permis de grandir, constate la professeure Campbell. Habiba et moi venons de milieux très différents. Pour ma part, j’ai grandi sur une ferme, et le projet nous a vraiment rapprochées. Nous avons dû nous mettre dans la peau des entrepreneurs, des ingénieurs et des agriculteurs. »
Ce duo de pionnières incarne également une révolution tranquille au sein du secteur agricole du pays, où un nombre croissant de femmes sont à la pointe du progrès sur le plan des technologies et de l’innovation alimentaire et donnent du mentorat à la prochaine génération de chefs de file des technologies agricoles. La vision à long terme des professeures Bougherara et Campbell va au-delà des framboises. En effet, leur système modulaire et sans abeilles pourrait se prêter à d’autres cultures à valeur élevée, telles que les bleuets, les fraises et même les tomates – une source de flexibilité et de résilience dans un secteur qui doit composer avec l’incertitude climatique et la hausse des coûts.

La professeure Campbell se réjouit en pensant qu’« en faisant pousser des framboises en intérieur, on ouvre la voie à une façon durable, locale et intelligente de cultiver d’autres aliments ».
Pour le duo Campbell-Bougherara de l’UMT, la framboise est bien plus qu’une culture – c’est un moteur de changement.






Collaborateurs
- Demers
- Dunya Habitats
- Montel